Le projet de modernisation de l’aéroport de Nantes Atlantique trouve ses origines dans l’abandon, en 2018, de la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes – ou « aéroport du Grand Ouest » – qui était envisagée depuis près de soixante ans. Ceci est une version abrégée du chapitre I du rapport N°227 de Sénateur M. Didier Mandelli, publié le 20.12.2023.
La construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes a été envisagée dès les années 1960, dans l’objectif d’améliorer la desserte aérienne des régions Bretagne et Pays de la Loire. Ce projet vise aussi à permettre le transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique – alors dénommé aéroport de Nantes Château-Bougon – vers une infrastructure plus capacitaire, compte tenu de la hausse attendue du trafic aérien sur cette plateforme.
En 1963, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) lance le projet des « métropoles d’équilibre » dans l’objectif de favoriser le développement de centres de pouvoir au niveau régional, en contrepoids à l’hypercentralisation parisienne ; Nantes-Saint-Nazaire fait partie des premières métropoles d’équilibre identifiées par le Gouvernement. Le projet de construction d’un grand aéroport intervient dans ce contexte, et afin de répondre aux besoins croissants du territoire en matière de transport aérien.
Le site de Notre-Dame-des-Landes est sélectionné en 1968 ; il est situé à environ 20 kilomètres au nord-ouest de Nantes et à 50 kilomètres au nord-est de Saint-Nazaire. En 1974, une « zone d’aménagement différé » (ZAD) est créée par arrêté préfectoral, sur une zone d’environ 1 650 hectares constituée de bocage humide utilisé notamment pour des activités de pâturage.
La ZAD est une procédure permettant aux collectivités territoriales, à travers l’exercice d’un droit de préemption, d’acquérir progressivement des réserves foncières en vue d’un projet d’aménagement futur.
Des premières contestations émergent et, à la suite notamment des « chocs pétroliers », le projet est mis en suspens au cours des années 1970.
Le projet est relancé au début des années 2000, dans quatre objectifs :
En 2006, à la suite d’un débat public de deux ans mené sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), l’enquête publique est lancée. La déclaration d’utilité publique du projet est publiée par décret le 10 février 2008. Le groupe Aéroports du grand ouest (AGO) remporte l’appel d’offres en 2010.
La procédure et le lancement des travaux sont toutefois entravés par la vive contestation suscitée par le projet et, en pratique, par l’occupation de la ZAD par des opposants à la construction de l’aéroport. Cependant, en dépit des très nombreux recours contentieux menés contre le projet – ils ont donné lieu à plus d’une centaine de décisions – la légalité de celui-ci a été confirmée par les différentes juridictions saisies.
Le 26 juin 2016, un peu moins de dix ans après la publication de la déclaration d’utilité publique sur le projet d’aéroport du Grand Ouest, une consultation locale a été organisée en application de l’article L. 123-20 du code de l’environnement1 et d’un décret1 publié au mois d’avril. Les – 17 – habitants de Loire-Atlantique ont été invités à répondre à la question suivante : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? ».
Avec un taux de participation de l’ordre de 51 %, la majorité des votants (55,17 %) a répondu de manière affirmative à cette question.
>0%
ont voté en faveur du déménagement en 2016
Si cette consultation n’était pas contraignante d’un point de vue juridique, Manuel Valls, alors Premier ministre, s’était engagé à ce que les travaux de construction de l’aéroport soient engagés en cas de victoire du « oui ».
Questions au Gouvernement du 21 juin 2016 – Assemblée nationale (Propos de Manuel Valls, Premier ministre)
« Le Conseil d’État a rejeté hier le recours …
« Le Conseil d’État a rejeté hier le recours formé contre le décret relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique vers la commune de Notre-Dame-des-Landes. À quelques jours de ce référendum, il me paraît important de rappeler que la juridiction a validé le périmètre de la consultation, ainsi que la question posée aux électeurs. Pour ceux qui pouvaient en douter, la consultation aura donc bien lieu dimanche prochain, sur la base du projet déclaré d’utilité publique en 2008. Je me réjouis bien sûr de cette décision. Je veux en tout cas assurer que l’État met tout en œuvre pour que cette consultation se déroule dans les meilleures conditions et dans le respect des principes du droit et de la démocratie. […]
Cette consultation constitue en effet une innovation démocratique majeure…
Cette consultation constitue en effet une innovation démocratique majeure. Je ne doute pas que c’est en donnant la parole aux citoyens les plus concernés par le projet que nous pourrons sortir par le haut des blocages actuels […]
J’invite donc les forces citoyennes à se mobiliser pour…
J’invite donc les forces citoyennes à se mobiliser pour que la participation soit la plus élevée possible dimanche […] et que cette consultation soit non seulement une expérience civique qui fera honneur à notre démocratie, mais aussi un moment de vérité sur ce projet […].
Le Gouvernement tiendra compte, bien sûr, du résultat de la consultation…
Le Gouvernement tiendra compte, bien sûr, du résultat de la consultation. Si le « non » l’emporte, le projet sera abandonné. Si le « oui » l’emporte, le projet sera engagé […]
Quel que soit le résultat, les personnes qui occupent illégalement…
Quel que soit le résultat, les personnes qui occupent illégalement des propriétés devront partir. L’État de droit s’appliquera à Notre-Dame-des-Landes comme partout ailleurs dans notre pays. »
Pourtant, en 2017, le Gouvernement lance une mission de médiation afin de comparer les avantages et inconvénients des deux options en présence : la construction de l’aéroport du Grand Ouest et la modernisation de l’aéroport de Nantes Atlantique.
Le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, « après cinquante années d’hésitation », au profit du réaménagement de l’aéroport de Nantes Atlantique.
Édouard Philippe
Premier ministre
« […] Cette décision est une décision d’apaisement. Elle doit aussi être l’occasion d’un nouveau départ, l’occasion de construire différemment, intelligemment. Le Grand Ouest a besoin de solutions pour croître. C’est une région puissante. Sa démographie et son économie sont dynamiques. Elle a besoin pour son développement d’être connectée au reste de la France et au reste de l’Europe. Mais précisément cette connexion ne peut plus s’envisager aujourd’hui comme elle était pensée il y a cinquante ans ou même il y a vingt ans. Il y a cinquante ans, le modèle pour Notre-Dame-des-Landes c’était de bâtir le troisième aéroport français et d’accueillir le Concorde pour rejoindre la vitesse supersonique le plus vite possible. Il y a vingt ans, le projet a été redéfini pour réaliser une plateforme aéroportuaire régionale permettant de développer des vols internationaux. Ce projet ne répond plus aux objectifs actuels, aux réalités actuelles de l’organisation aéroportuaire qui réservent à quelques grands aéroports nationaux les vols long-courriers.
Ce dont le Grand Ouest a besoin, ce à quoi le Gouvernement s’engage, c’est de garantir que Brest, que Nantes, que Rennes, disposent de liaisons faciles avec les autres métropoles européennes et de mettre en place des liaisons rapides avec les hubs long-courriers internationaux. Le récent rapport de médiation a montré qu’il n’y a pas de solution idéale, mais qu’il existe une alternative crédible au transfert de l’aéroport.
Cette solution, c’est le réaménagement de l’aéroport de Nantes Atlantique. Les études ont aussi montré qu’il était possible de prendre des mesures limitant la hausse des nuisances sonores pour la population. Dans un premier temps, l’aérogare de Nantes Atlantique sera modernisée et les abords de pistes seront aménagés pour permettre à l’aéroport d’accueillir plus de passagers.
Ces premières mesures peuvent être réalisées sur l’emprise actuelle de l’aéroport dans des délais rapides. En parallèle, la procédure pour l’allongement de la piste sera engagée. Elle permettra de réduire les nuisances sonores à Nantes. Nous ferons tout pour réduire ces nuisances pour le village de Saint-Aignan-Grandlieu et si techniquement cela n’était pas possible, elles feraient l’objet de compensations exemplaires […] ».
Cette décision, qui allait à l’encontre de la volonté exprimée par la population de Loire-Atlantique lors de la consultation locale de 2016, est à l’origine des difficultés rencontrées aujourd’hui à l’aéroport de Nantes Atlantique
Elle a suscité une lourde incompréhension dans le pays nantais. De nombreux acteurs ont évoqué un Gouvernement « revenant sur sa parole » et un sentiment de « trahison ». Dès le début de ses travaux, le rapporteur a tenu à aller à la rencontre des acteurs locaux (élus, riverains et acteurs économiques) pour recueillir leur point de vue. Lors d’un déplacement à Nantes le 13 novembre 2023, nombre d’entre eux ont évoqué un « un coup de canif dans un contrat de confiance », « une forte déception » ou encore « un sentiment d’amertume » par rapport à la décision du Gouvernement.
De manière plus grave encore, le choix du Gouvernement de ne pas tenir compte des résultats de la consultation publique a pu alimenter un sentiment de défiance vis-à-vis de la puissance publique, voire de suspicion, en particulier parmi les riverains et élus locaux des communes voisines de l’aéroport de Nantes Atlantique qui sont les plus touchées par les nuisances sonores aériennes.
L’Association contre le survol de l’agglomération nantaise (Acsan) a ainsi souligné auprès du rapporteur que les habitants ont vécu ces « revirements » et « atermoiements » de l’État comme un « déni de démocratie ». Elle a rappelé que la décision d’abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes « a entraîné des conséquences désastreuses sur la confiance que les citoyens pouvaient avoir dans l’État et les institutions républicaines ».